Wednesday, June 17, 2020

J’AI GRANDI A SHADDA, SUIS-JE MOI AUSSI UN BANDIT ? | Alce M. Henry

En plein milieu de Corona virus, alors que le gouvernement exige à tout le monde de rester chez soi, mais il a pris le soin de détruire le ″Chez soi″ de la population de Shadda. Messieurs, les gens de Shadda, ils doivent rester où ? Ah pardon ! J’avais oublié qu’il ne s’agit pas des êtres humains, mais des bandits. Pourtant je n’oublierai pas que si mes collègues, si mes condisciples, ou si moi inclus, nous avons vécu une partie de notre vie à Shadda, c’était en raison que malgré leurs sacrifices, nos parents ne pouvaient pas nous offrir mieux. Mais il est plus facile de traiter Bouki de bouda boulé lorsqu’il est de la masse. 

Il revient désormais de parler de Shadda au passé, mais il faut tout aussi comprendre que la destruction de shadda n’est pas liée au jour où on a démoli les maisons. Et avant de voir l’auteur de ce texte comme un antigouvernemental, considérons ce qui suit. 

Dans son ouvrage intitulé "La Fin des paysans" (1987), Henri Mendras a montré comment l’exode rural emmènerait la disparition de la civilisation paysanne. Chez nous en Haïti, ce phénomène n’a pas qu’annihiler la société paysanne, il a tout aussi transformé nos villes en bidonvilles et aussi tout ce qui vient avec. Or, le constat amer c'est que ce problème n’est pas prêt d’être résolu. Celui qui est obligé d’abandonner sa bitasyon de campagne, vendre son jardin pour ensuite s’acheter une motocyclette pour faire du taxi ne peut se procurer de meilleure vie que celle offerte par les voisinages d’un quartier tel que Shadda.
 Mettons de côté cet assainissement adéquat que plus de 72% des haïtiens ne disposent pas (ONU, 2016). Qui voudrait vivre dans un endroit où il n’a même pas accès à de l’eau provenant d’une source améliorée, et où il se doit encore de se faire chier dans une vase avant de le balancer à la rivière ? Ce lieu où les toilettes de ceux qui ont la chance d’en avoir donnent plutôt l’envie de rester constiper tout le temps? Un endroit où on jette les déchets sous forme solide avant de les avaler sous forme de fumée au moment de leur combustion. Quelque part où il suffit qu’un toit se fasse brûler pour alimenter tous les autres. Une zone où même si l’urgence exigerait l’intervention des sapeurs-pompiers et des ambulanciers, les habitants y resteraient crever parce qu’elle est enclavée et dépourvue d’accès.

Revenons à la destruction. J’en connais qui sont aux abois. On peut sentir ce mal des parents avec des enfants désormais dans la rue, tels des meutes dont on a détruit la cabane. Mais il faut d’abord être capois en reconnaissant que la ville ne pouvait plus respirer. Il faut aussi se mettre dans la peau du reste de la population pour comprendre que tout ça concerne la sécurité publique. Cependant, il serait encore plus judicieux de reconnaître que Shadda n’a pas été détruit ce jour où on a exterminé les maisons.

Cette zone a déjà été détruite lorsqu’on n’y a pas construit d’écoles. [Yanm swiv gòl]. Comment les jeunes peuvent-ils être irrépréhensibles si le système est pourri ? Comment détruire encore une population lorsqu’à l’âge de 16 ans, l’adolescent est déjà prêt pour fonder une famille et à 35 ans il serait déjà trop vieux pour être grand parent ? Comment détruire une communauté perdue dans la promiscuité et où le sexe et la drogue sont devenus les seuls loisirs ? Qu’elle autre façon de détruire une population si déjà elle ne vivait même pas ?
On ne détruit pas une bande de guêpes sauvages en attaquant tout simplement à leur ruche et croire qui tout est fini. Ils survoleront au moment du premier coup et ils finiront par établir leur foyer dans une autre zone. La seule façon de solutionner le problème, c’est de donner une raison à ses guêpes sauvages de devenir une colonie d’abeilles utile. Sinon, soyons prêt à fermer la ville dès qu’il soit 17 heures lorsqu’ils se tiendront à la porte pour piquer tous passants. A moins qu’on préférait encore de ratiboiser leur nouveau lieu d’essaim. 

Dans cette excursion de pêche à Shadda, les vrais poissons n’étaient pas dans l’eau. Qui peut faire le décompte et dire combien d’entre les maisons ruinées ont été des propriétés de bandits et celles des paisibles citoyens ? Les gens de Shadda ont toujours été marginalisés. On songe qu’ils sont là uniquement au moment des élections. Lorsqu’on pense leur allouer 1000 gourdes comme fond d’assistance social, qu’ils doivent en retour troquer contre leur vote. Alors, on ferait mieux de reconnaître avoir éliminé les travaux de toute une vie d’économie d’une bande de misérables qui ont réussi à construire des taudis que vous (leaders) n’arriviez même pas à éclairer avec de l’électricité.
Qui a vu que les gens de Shadda sont victimes plusieurs fois. Déjà ils n’avaient pas d’écoles, maintenant ils n’ont pas de domicile. On a tous regretté la mort du policier. Paix à ton âme mon frère. Mais ayons au moins du courage d’admettre que dans cette action de kraze kay, il y’a eu de l’improvisation et de l’émotion derrière. J’ai appris à l’université que les actions de l’Etat doivent être Réfléchies, Planifiées et Ordonnées. Messieurs en termes de planification territoriale, ceci est un gros Zéro sur 10. Reconnaissez que vous être en train de pisser sur la tête de ceux qui vivaient déjà dans la pauvreté extrême, plutôt de leur faire comprendre qu'il pleut. Il n'y a pas qu'avec des armes qu'on tue. On est pas mieux que les bandits lorsqu'on peut commettre de tel crime. On pourrait sauver Okap sans qu'il y ait toutes ces pleurs.

J’en connais qui ont grandi à Shadda, pour qui ce serait une insulte de leur voir bandits. Ceux-là qui portent des rêves comme on porte une torche que le vent du désespoir veut à tout prix éteindre. Admettons qu’on a détruit les maisons de ceux qui portent des armes, mais les distributeurs, sait-on où ils habitent ? Serait-on prêts également d’écraser les maisons des dilapidateurs des fonds de Petrocaribe qui étaient destiné à construire des écoles et des logements sociaux, et qui étaient censé inspirer aux jeunes un peu d’espoir ? A-t-on déjà pensé au fait qu’il y’a eu des bandits jusque parce qu’il y’a eu un système pour lequel ils sont au service.
Avez-vous bien dit Expropriation ? Comment expliquer cette politique d’expropriation lorsque dans le décret du 30 Octobre 1989, il est dit que : « L'Etat ne peut ni démolir ni prendre possession du bien avant le paiement effectif de l'indemnité». Avant de préciser que : L'expropriation n'est permise qu’après paiement et préalable indemnisation à la valeur marchande du bien, déterminée à dires d'experts. 

Ah oui ! Vous voulez sûrement accueillir des investisseurs étrangers dans ces espaces désormais vacants. Mais comment gagner leur confiance lorsque le code civil reconnait la construction d’un immeuble comme un investissement dans le pays, alors que vous avez failli à les protéger ? Comment construire dans un pays sachant qu’un bon matin on peut perdre sa propriété sous prétexte que les autorités cherchent des gangs ? Les leaders conséquents sauraient qu’on attrape plus de fourmis avec une goutte de sirop qu’un réservoir de vinaigre.

Il fut un temps, un quartier de Cap-Haïtien appelé Shadda.

Tandis qu’on s’apprête de parler de Shadda au passé, rappelons-nous de préciser qu’il s’agissait d’une zone qui a toujours été détruite.

Alce M. Henry
Les Écrits AMH

4 comments:

Unknown said...

Validé!!c'est Du Solide frangin!!

Unknown said...

Rien n'est planifié mon frère. Ce n'est que pontuel ce que font ces soi-disant autorités.
Shada sera encore et encore à Petite-Anse, Cite du peuple, Blue hills, la fossette, Limonade, Quartier Morin... car les elements sont encore dans la nature mon ami. Excellent texte.

RBJ said...

Ils savent qui sont les vrais bandits, ils se connaissent.

---Bon travail

Jhony Spencer said...

Nous les jeunes, qui peuvent porter de telle réflexion, que faire.